La craie et le silex

L’habitat traditionnel d’une région est souvent le reflet de la géologie des lieux. En effet, longères, églises, chapelles et châteaux de Somme sont réalisés avec deux matériaux caractéristiques de notre sous-sol : la craie et le silex. Il n’est pas nécessaire de creuser bien profond dans nos jardins pour buter d’abord sur un caillou anguleux, le silex, puis pour arriver sur un horizon géologique blanc, la craie ! Notre région, et tout particulièrement sa bande côtière, est un cas d’étude réputé pour tous les apprentis géologues, hydrogéologues et sédimentologues. Il est temps pour nous de prendre notre loupe et notre marteau de géologue afin d’étudier notre richesse « sol ».
La géologie
En géologie, le bassin parisien est un bassin en pile d’assiettes (figure 1a). Le bassin parisien s’étend d’ouest en est de la Normandie aux Vosges et de Lille au Nord jusqu’aux pieds du massif central au Sud. Argoules se situe dans la partie Nord-Ouest du bassin parisien, dans l’affleurement du crétacé supérieur (vert clair dans figure 1b).
La craie, qui a donné le nom au crétacé (creta en latin), est une roche sédimentaire pélagique calcaire, c’est-à-dire une roche qui s’est formée par dépôt sédimentaire en milieu marin. La craie est en réalité un amoncellement de petits squelettes de carbonate de calcium (CaCO3) de cocolythophoridés (figure 2), un micro-organisme vivant en mer chaude. L’accumulation de ces petits squelettes calcaires sur plus de 40 millions d’années durant la période du crétacé supérieur (entre -100 et -66 millions d’années avant notre ère) a permis de former une épaisseur de craie qui fait, en moyenne sur l’ensemble du bassin parisien, 400 mètres. Les falaises d’Ault, au sud de la baie de Somme, nous permettent de visualiser une partie de cette formation géologique. Le nom « côte d’Opale » a été donné pour la première fois en février 1911 par Édouard Lévêque, peintre touquettois, écrivain et botaniste, pour l’aspect laiteux de la Manche que donne la craie en suspension dans l’eau et qui rappelle l’opale, une pierre semi-précieuse provenant principalement d’Australie.
Les silex sont des pierres anguleuses, très dures, composées de silice (dioxyde de silicium SiO2). Les silex de Picardie sont réputés pour leur pureté en silice à 99%. On les distingue très bien sur les falaises en bandes noires sur les parois. Leur formation au sein du dépôt sédimentaire crayeux est restée longtemps une énigme pour les géologues. Les silex se sont formés en même temps que le dépôt sédimentaire durant la période du crétacé supérieur. La silice provient des tests* d’organismes siliceux tels que les diatomées et radiolaires respectivement phytoplanctons et zooplanctons (figure3). Les conditions chimiques de la mer chaude du crétacé étaient propices à une dissolution de ces micro-organismes. La reprécipitation en silex a eu lieu dans le dépôt sédimentaire à environ 1 mètre sous le plancher de cette mer, d’où la stratification horizontale homogène des silex dans la craie. Les silex épousent la forme des cavités dans lesquelles ils ont précipités d’où l’aspect anguleux. On trouve de nombreux silex incrustés de coquillages fossilisés (figure 3). Dans les terres, les silex sont déchaussés de la craie par l’érosion et sont dispersés dans le sol. Du côté mer, les silex tombent de la falaise et sont roulés par les marées successives. Il en résulte les somptueuses plages de galets de Mers-les-bains à la pointe du Hourdel en passant par la plus connue : Cayeux-sur-mer (cailloux se dit cayeux en picard). Le galet picard est transformé et commercialisé en silice cristobalite (poudre de silice). Il est destiné aux chaussées éclaircies, aux aménagements urbains et de sécurité routière (bandes rugueuses), dans la composition de certains matériaux de synthèse… Les gisements de galets sont exploités autour de la baie de Somme, de Cayeux jusqu’à Quend où les falaises ont disparues.
la craie et le silex dans les matériaux de construction
A Argoules, la chapelle du Bon Secours, l’Eglise, l’abbaye, de nombreux pignons, et la quasi-totalité des anciennes cheminées ont tous été réalisés avec de la craie et/ou avec des silex. Le silex est surtout utilisé pour les soubassements. Peu poreux et solide, il limite la remontée d’eau du sol par capillarité. La prouesse technique, désormais perdue dans la région, réside dans la taille en cubes des silex. La craie très poreuse n’est jamais utilisée en soubassement. Elle est utilisée en bloc taillé ou en moellons pour les cheminées et la partie haute des pignons. Le contraste entre le blanc de la craie et le noir des silex a permis la réalisation de motifs en damier (pignon du x grande rue à Argoules, chapelle des Marins à Saint-Valery sur Somme).
la craie pour le chaulage des champs
En agriculture et en jardinage, la craie apporte le calcium nécessaire au sol pour l’élaboration des fruits et légumes. Appliqués avant l’hiver sur les cultures, les blocs de craie vont exploser grâce à l’alternance du gel et du dégel et permettront d’alimenter les terres en calcium. On dit alors que l’on chaule les terres. Les trous creusés à flanc de collines par les agriculteurs sont de petites carrières de craie (photo X).
la craie, notre réservoir d’eau
L’épaisseur de craie sur laquelle nous reposons est également un gigantesque réservoir d’eau. C’est même le plus grand réservoir d’Europe. Il fournit entre 11 et 12 milliard de m3 par an. Les pluies d’hiver viennent remplir les fissures et la porosité de la craie et constitue la nappe phréatique de la craie. Les inondations de 2001 dans la Somme étaient dues à une crue de nappe. Effectivement, les mois précédents la crue ont été très arrosés dans la région, la nappe phréatique s’est chargée à un tel niveau que des vallées anciennement asséchées ont vu réapparaître de petits ruisseaux. L’Authie est un des fleuves côtiers drainant en partie la nappe phréatique de la craie vers la manche. La légende urbaine souvent entendue sur le fait que Paris aurait inondée la Somme pour se protéger est fausse. Une crue de nappe met des mois à se résorber, d’où la lente décrue. Abbeville est restée plus de 2 mois les pieds dans l’eau, le temps que le niveau de la nappe redescende. Ce réservoir d’eau reste très vulnérable aux pollutions. En contact direct avec notre nappe, il est important de ne rien rejeter dans nos puits, même les eaux pluviales ! En effet, les toits sont pollués par des particules fines et métaux lourds, les précipitations lessivent nos toits et se chargent en polluants. Les produits phytosanitaires utilisés à outrance depuis des années atteignent déjà notre réserve d’eau.